La prescription en matière de dommages de travaux publics est régie non par le Code civil, mais par les dispositions spéciales de la prescription en matière administrative, soit la loi du 31 décembre 1968 n° 68-1250.
I/ Que dit la loi ?
Celle-ci fixe une prescription de 4 ans (prescription quadriennale) mais la particularité est que sa durée est réellement entre 4 et 5 ans, puisque que le délai court jusqu’au 31 décembre de la quatrième année qui suit le fait générateur ou point de départ. Ainsi, si une prescription commence au 1er avril 2000 (date du fait générateur), la prescription ne s’éteindra non pas le 1er avril 2004 mais le 31 décembre 2004.
Le maniement de la prescription est assez souple tant au regard des dispositions de la loi du 31 décembre 1968 qu’au regard de la jurisprudence.
Tout d’abord, la créance est suspendue (délai gelé) par la médiation dans les formes du code de justice administrative, c’est-à-dire sur prescription d’un magistrat administratif.
D’autre part, l’article 3 précise que la prescription ne court ni contre le créancier, qui ne peut agir soit par lui-même ou par l’intermédiaire de son représentant légal ou pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l’existence de la créance ou de la créance de celui qu’il représente.
Enfin, le régime de la loi prévoit que le débiteur de la créance peut être relevé de toute forclusion, c’est-à-dire de déchéance, mais cela est très rare.
Les autorités administratives peuvent se prévaloir de la prescription jusqu’à ce que la juridiction de premier degré se soit prononcée sur le fond.
Bien entendu, les actes interruptifs de la prescription, prévus à l’article 2, sont vus de manière assez souple et peuvent correspondre à toute demande de paiement ou réclamation du moment que celle-ci a trait au fait générateur, à l’existence ou au montant de la créance. Le recours doit être formé devant une juridiction ou toute communication écrite à une administration intéressée.
Tout acte interruptif fera partir un nouveau délai de 4 ans.
2/ Le point de départ de la prescription vue par la jurisprudence
La jurisprudence, partant du principe issu de l’article 3 de la loi de 1968 qui prévoit que la prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir soit par lui-même, soit par l’intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l’existence de sa créance ou de la créance de celui qu’il représente légalement, en a tiré les conséquences extrêmement favorables aux victimes.
Ainsi, il a été jugé que la détermination du point de départ de la déchéance ou de la prescription quadriennale ne court qu’à compter du moment où le créancier a parfaite connaissance de la réalité et de l’étendue de ses préjudices qui ont été entièrement révélés, ces préjudices étant connus ne pouvant être exactement mesurés au moment où la créance est connue de façon certaine.
Ceci a posé la question des dommages instantanés, définitifs, successifs et continus.
Pour les dommages instantanés et définitifs, ceci ne pose pas de problème puisque le fait générateur est parfaitement identifié.
Pour les dommages successifs, en matière de dépréciation de propriété à proximité d’un ouvrage public, il a été décidé que le point de départ de la prescription partait non du démarrage des travaux mais de l’achèvement de la construction publique (fait générateur).
D’autre part, en matière de préjudice permanent, le délai de prescription part à compter du jour de la naissance du préjudice, comme en matière de préjudice d’agrément par exemple.
En matière de préjudice évolutif, la jurisprudence prend en compte le fait que le dommage s’est réalisé dans son étendue actuelle et ne s’est révélé dans son caractère permanent qu’au fur et à mesure du développement du trafic concernant un dommage lié au trafic urbain.
Ce qui rend parfois subtile et difficile l’appréciation du point de départ.
En tout état de cause, le Conseil d’Etat, par une décision du 20/11/2020, a précisé qu’il résultait des dispositions de l’article 2270-1 du code civil et des principes qui en sont issus que la prescription court à compter la date à laquelle la victime a eu une connaissance suffisamment certaine de l’étendue du dommage et non de la date du dépôt du rapport d’expertise.
En effet, il est courant d’admettre que le jour du dépôt du rapport d’expertise fasse démarrer la prescription car il constitue une date à laquelle on peut considérer que la victime a eu une connaissance suffisamment certaine de l’étendue de son dommage.
En revanche, selon le Conseil d’Etat, un rapport d’expertise qui n’aurait permis que d’identifier les personnes potentiellement responsables ne constitue pas le point de départ du délai de prescription si l’étendue du dommage était antérieurement connue : « Il résulte en outre de ces dispositions que la prescription qu’elles instituent court à compter de la manifestation du dommage, c’est-à-dire de la date à laquelle la victime a une connaissance suffisamment certaine de l’étendue du dommage, quand bien même le responsable de celui-ci ne serait à cette date pas encore déterminé. »
En l’espèce, les désordres (fuites d’eau) étaient connues depuis 2002 par les requérants et le rapport d’expertise déposé en 2015. La juridiction ayant admis comme point de départ la date de dépôt du rapport a donc commis une erreur de droit.
Il convient donc d’être prudent et, en cas d’hésitation, de commettre des actes d’interruption du délai de prescription.
S.MONTAZEAU